Journée nationale des Observatoires SNES sur la notion de compétence

La notion de compétence

5 juillet 2005

paru le mardi 5 juillet 2005

Intervention Catherine Remermier : psychologie et sociologie du travail.
La question de la compétence doit être interrogée par rapport aux évolutions du monde du travail mais aussi par rapport à ce qui nous est demandé dans l’institution scolaire. Les compétences deviennent peu à peu un passage obligé dans l’orientation des élèves.
La compétence, ce n’est pas que le néolibéralisme. C’est aussi de la part des salariés le désir de voir reconnu tout ce qu’ils font dans le domaine professionnel. C’est une réaction à la mainmise du taylorisme.
Volonté de rendre le travail transparent et de décomposer le travail en gestes simples. L’engagement des salariés est de plus en plus requis dans le travail. Les salariés doivent désormais faire face à des imprévus, à des dysfonctionnements etc. On recherche donc des personnels dont on soit sûrs qu’ils vont s’engager.
Il y a une reproduction de ce qu’on a connu au début du XXème siècle. Au lieu de voir comment les gens fabriquent de la compétence, la question centrale est celle de l’évaluation de la compétence. On part du principe que des opérations intellectuelles complexes pourraient être accessibles par la somme d’opérations mentales simples. C’est un peu ce qu’on voit dans certains référentiels qui existent dans certaines disciplines. Il s’agit d’une conception sommative des choses. Pourtant, la compétence ne peut pas être la résultante de tous ces éléments mis bout à bout.
L’engagement professionnel est requis de la part du salarié mais il lui est en même temps refusé puisqu’on lui refuse la main sur les décisions essentielles. Les salariés n’ont pas non plus la maîtrise des moyens : certains voient bien ce qu’il faudrait faire pour que ça marche, mais ils ne peuvent pas le faire.
Il s’agit d’une nouvelle attaque sur les métiers : on exige de plus en plus de polyvalence et on parle de plus en plus de fonctions.
La prescription recule mais l’évaluation progresse. On ne permet pas non plus le développement de collectif de travail. La question des compétences est de plus en plus individuelle. Les personnes sont mises en confrontation avec leurs ressources personnelles. Lorsqu’elles échouent, c’est donc personnellement et non collectivement qu’elles prennent un retour de bâton.
De même, il y a une pression de plus en plus forte sur le travail des enseignants. On évalue de plus en plus les élèves sur des petits bouts de machin et non sur des notions plus larges. On retombe donc complètement dans la philosophie de la loi Fillon.
La notion de compétence est complètement floue. Le fait que l’institution donne des mesures de classement etc, lui donne un semblant de réalité scientifique. « Ce qui se mesure doit bien exister quelque part ». Les processus d’apprentissage sont conçus comme étant la somme d’opérations simples. On glisse progressivement de la notion de compétence à la notion d’aptitude ou de capacité.
Les compétences ne sont qu’une manière différente de revenir sur la notion de dons et d’aptitudes.

Comment ça se passe du point de vue des élèves ?
On ne voit pas en quoi une évaluation en termes de compétences pourrait aider l’élève à mieux maîtriser son travail scolaire.
Qu’est-ce que les élèves peuvent faire de ces grilles de compétences ?
Les compétences tendent à être utilisées comme pendants aux résultats scolaires. Elles servent de plus en plus à mesurer les performances scolaires.
La compétence introduit aussi le mérite chez les élèves, notamment par rapport à la note de comportement qui va leur donner un plus pour entrer en BEP.
Cette évaluation va être fortement liée aux codes sociaux.
On peut donc, dans certains cas, appliquer aux élèves la double peine.
La compétence devrait nous permettre de nous centrer sur ce qui permet à un élève de favoriser son développement.

Sophie Divay : la dimension historique de la notion de compétence :
Il y a une phase métier, une phase qualification et une phase compétence. En vérité, aujourd’hui, ces trois phénomènes coexistent. Le terme est très flou et polysémique. Il est toujours lié à une situation sociale donné et donc malaisément transposable. Les décideurs se réunissent souvent pour parler de compétences mais ils ne savent pas toujours ce qui et mis derrière.
Les compétences ont tendance à faire passer à la trappe la notion de connaissances ou de travail savant. Les compétences sont très liées à la notion d’adaptation au travail : les notions d’employabilité et d’inemployabilité sont très à la mode mais très vagues.
Les compétences relèvent également d’astuces, de trucs, de petits bricolages, souvent pratiqués clandestinement dans l’entreprise.
La compétence concerne aussi une dextérité et une habileté routinière.
Il y a un savoir-faire dans la relation à autrui : compétences personnelles, individuelles, expériencielles, professionnelles, naturelles.
La compétence est donc un fatras de trucs imprécis et à la mode, qui se répand un peu partout dans la société.
Système taylorien : mode de production et de consommation de masse à partir de produits standardisés nécessitant une succession de tâches morcelées. Le travail posté met l’accent sur le poste et non sur celui qui occupe ce poste. (il faut “the right man at the rignt place in the right time”). Il s’agit d’une théorie adaptationniste.
Il y a une codification de plus en plus forte des types de postes, avec une structuration par branches à partir de laquelle les salaires sont fixés. Il y a à l’époque de nombreux conflits sociaux collectifs. L’ancrage du travail dans le collectif est alors très fort.

Dans les années 80, on assiste à une intensification des échanges internationaux et d’une précarisation du travail, de plus en plus flexibilisé. On s’inspire de plus en plus des méthodes japonaises. De nombreux sociologues ont cru que l’informatique allait éliminer certains postes de travail rébarbatifs, or rien n’a changé de ce point de vue. Par contre, ces matériels très sophistiqués sont devenus de plus en plus vulnérables aux pannes. Les postes de maintenance sont donc devenus de plus en plus essentiels.
Beaucoup de gens, même en CDI ont régulièrement peur de perdre leur emploi. Ils sont dans un état permanent d’inconfort et d’incertitude.
Aujourd’hui, on assiste à un renversement : ce n’est plus le poste qui est important mais l’individu, lequel doit bien s’entendre avec sa hiérarchie, avec ses clients, avec ses collègues, être mobile, s’adapter etc. On est aussi exigeant sur les compétences des individus que sur leurs qualifications.
Le bac pro ne permet pas aux jeunes d’avoir un retour sur investissement : ils vont en réalité accéder au même poste que leur père qui est ouvrier également.
On assiste aujourd’hui à un renversement du rapport de force des employeurs et à un affaiblissement du rôle des syndicats. La notion de compétence qui se développe ne donne pas aux syndicats de place pour négocier, notamment dans le cadre de l’individualisation des salariés.
Abandon de normes négociées collectivement.
Evaluation à 360° par le supérieur hiérarchique, par les collègues, mais aussi par les subordonnés. Les DRH disent qu’ils ne font plus que de l’évaluation à longueur d’année par des contrats d’objectifs ou des bilans d’orientation.
Ces nouveaux modes d’évaluation génèrent de fortes tensions : le flou qui les caractérise, la disparition de la notion de connaissances propres aux métiers, le risque d’exclusion des salariés qui ne peuvent pas répondre à ces nouvelles exigences. Le pire étant qu’au départ les salariés apprécient ces dispositifs car ils se imaginent que leur travail sera enfin reconnu. La gestion par les compétences dans l’entreprise n’est pas souvent synonyme de reconnaissance du travail dans l’entreprise. Lorsqu’un salarié veut monter dans la hiérarchie, il doit au contraire passer par un « seuil institutionnel », c’est-à-dire la formation et le diplôme.
Aujourd’hui, la notion de compétence se répand absolument partout.
Dans les boîtes d’aides à la recherche d’emploi, il s’agit pour les salariés de « savoir se vendre », non pas en tant que « demandeur d’emploi » mais en tant « qu’offreur de services ». On assiste à un phénomène d’individualisation, de personnalisation et de psychologisation du demandeur d’emploi qui va jusqu’à la culpabilisation*. Dans ce genre de sessions, on ne parle surtout pas du chômage, du marché de l’emploi, de la situation économique et politique.
Chaque candidat est filmé en vidéo et on passe la vidéo devant tout le groupe.
On juge chez lui un habitus, une éducation, un fonctionnement social. On attend des gens qu’ils soient habillés correctement, qu’ils sachent dire bonjour, qu’ils sachent dire au revoir etc.
Or, lorsqu’on a affaire à des jeunes issus des banlieues et qui ont 16 ans, ça ne va plus du tout. Quant à la notion de classe sociale, c’est un sujet tabou. Il y a un gommage systématique des facteurs sociologiques et politiques.
La médiation sociale participe de ce « flou ». Des gens sont mis dans les gares, dans les bus etc, pour s’occuper de faire une « médiation sociale ». Beaucoup d’emplois-jeunes ont été employés à ça.
La question était : qui on embauche ? Et sur quels critères ?
Le mieux est de prendre des gens du milieu pour en faire des médiateurs qui interviendraient auprès de leurs semblables : on est donc dans la logique du grand frère. Le critère incontournable étant l’âge. La catégorie sexuée était également importante : ce sont des jeunes hommes qui ont été embauchés en priorité, appartenant à une catégorie ethnicisée.
Cela a eu pour conséquence d’enfermer ces jeunes dans des caractéristiques personnelles et dans des catégories sociales de dominés. Pareil pour les femmes africaines utilisées comme femmes relais.
Aujourd’hui, on arrive à la fin des emplois-jeunes. Les maires disent qu’ils ont besoin de ces médiateurs mais ne savent pas comment professionnaliser les compétences.

Conclusion : c’est toute la société qui est actuellement touchée par cette logique de compétences. La logique gestionnaire est de plus en plus forte. (LOLF)

* cf le travail de Laurent Mucchieli : sociologue qui a beaucoup travaillé sur la culpabilisation des habitants des banlieues.

Odette Bassis : les compétences au cœur des pratiques d’apprentissage
En quoi une théorie peut-elle être opérationnelle, en quoi une pratique peut-elle être pertinente ? La question des compétences peut permettre de décloisonner le mur existant entre théorie et pratique.
La querelle entre les pédagogues et les républicains permet trop souvent d’éluder la question du contenu des savoirs.
Il faut aller chercher une réflexion au niveau historique et épistémologique pour se demander ce qui est important derrière tel ou tel savoir. Quelle rupture par rapport à l’allant de soi de son époque tel savoir a-t-il apporté ? On ne peut comprendre les réponses que si on connaît les interrogations fondamentales.
Si on ne s’interroge pas sur le sens du savoir, la réflexion sur les méthodes n’a strictement aucun intérêt. C’est à partir de cette interrogation que l’on peut imaginer des situations complexes qui vont permettre de véritables constructions de savoir et permettre à chaque enfant de se forger des compétences multiples.

En interrogeant Google sur cette question des compétences, on est surpris de lire que la notion de compétences va permettre aux enseignants de s’écarter un peu des discours expositifs pour les rendre plus formateurs. Or, si l’enseignant n’est pas formateur, qu’est-ce qu’il est ?

Les compétences sont un outil pertinent lorsqu’elles sont mises en œuvre dans la complexité. La compétence prend en compte la personne. C’est une personne qui est compétente et non un savoir.
Lorsqu’elle est digne de ce nom, la compétence a quand même une fonctionnalité et de la pertinence.

On peut être capable, à un moment donné, de résoudre des tas d’équations, mais finalement, c’est bien plus tard qu’on comprend ce que c’est qu’une équation.

Knowledge management : « il est temps de passer de la main d’œuvre au cerveau d’œuvre » (!)

Ouvrages cités par les intervenants :

Philippe Perrenoud : construire des compétences dès l’école (pratiques et enjeux pédagogiques). ESF éditeur.

Loïc Wacquant : punir les pauvres, le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale (contre-feux, Agone)