A l’approche des prix littéraires, l’Inspection vient de rendre sa copie. Désormais, l’enseignant nouvelle formule sera évalué sur son « Savoir Etre », son « Savoir » et son « Savoir Faire ».
De prime abord, on se réjouit de retrouver le rythme ternaire et le charme désuet de la dissertation.
Pourtant, en y regardant de plus près, une inquiétude se fait jour à découvrir une seconde partie à ce point elliptique. Quand elle entend le mot « Savoir », la muse ministérielle semble vite essoufflée. Et que peut ce pauvre mot, le « Savoir », livré ainsi à lui-même, face à ses deux concurrents ? Une hypothèse s’impose : s’il a jugé bon de ne pas pousser plus avant, c’est qu’aux yeux du Ministère, lacanien sans le savoir, le professeur est, comme l’analyste, « le sujet supposé savoir ».
Restent les deux colonnes du Temple, dont l’ordre de succession fait naître un second soupçon. Comment l’Inspection ose-t-elle ouvrir le propos sur le mystérieux « Savoir Etre » pour clore sur le convenu « Savoir Faire » ? Le Ministère aurait-il oublié sa rhétorique ?
Peut-être que, platonicienne à son insu, l’Inspection suggère ainsi la chute inéluctable de l’Etre dans le Faire ? Mais peut-être qu’à l’inverse, prométhéenne exaltée, elle se réjouit de voir l’Idée déboucher enfin sur l’Agir ?
Reste cette avancée conceptuelle majeure qu’est le « Savoir Etre ». Savoir être ou ne pas savoir être, telle est la vraie question. Qu’un seul « Savoir Etre » me manque, et tout est dépeuplé.
Mesure-t-on bien ici le défi théorique de pareille alliance ? En effet, si l’Etre est - et à cela se réduit le savoir qu’on a de lui -, qu’a-t-il besoin de savoir ? Et s’il n’est pas, que peut-il bien apprendre ?
Et peut-on imaginer un professeur doté d’un « Savoir Faire » mais dépourvu de tout « Savoir Etre » ? Osera-t-on laisser professer un individu capable de « faire », mais sans « être » ?
On peut sans doute aider les « mal faisant » ; mais que faire pour les « mal étant », au fond plus malfaisants ?
Sans doute rien. Pas plus qu’on ne peut aider les « mal écrivant » quand ils sont « mal pensant ».
*Jacques Poirier est universitaire.